La Scène du puits

La lecture proposée fait appel à deux perspectives articulées entre elles, le chamanique pour les images et structuraliste pour les points.
Les images : L’homme ithyphallique ni couché ni debout, ni mort ni vivant, est un chaman en transe. Il a atteint cet état grâce à son ongon, l’oiseau, auquel il s’est partiellement identifié et qui décore l’un de ses propulseurs à crochet. Au cours de cette transe le chaman a rencontré le maître ou la maîtresse des animaux : le rhinocéros, pour solliciter l’autorisation de tuer un bison. Satisfaction lui a été donnée, le maître des animaux a mis le bison a la disposition du chasseur en lui administrant un solide coup de corne, qui l’a éventré. Le chaman/chasseur n’a plus qu’a terminer l’action par un coup de lance symbolique, superposé à l’image de sa victime, tandis que le rhinocéros marque sa prééminence en s’éloignant paisiblement.
Cette lecture à trois avantages.
· Elle ne laisse de côté, en dehors des points, qu’un petit trait noir doublant la pointe du propulseur orné.
· Elle repose sur une conception réaliste de la chasse au paléolithique. Compte tenu de l’armement disponible tuer un bison était un véritable exploit et devait
nécessiter l’intervention des puissances surnaturelles. La victime devait être une bête isolée et jeune ou blessée. Les grands prédateurs actuels ne procèdent d’ailleurs pas autrement. Nous aimons tant avoir un ancêtre courageux et fort que nous l’engageons souvent, au delà de toute raison, dans des actions impossibles.
· Elle intègre la dimension fonctionnelle du chamanisme. « philosophie naturelle qui subordonne l’exploitation par l’homme des ressources végétales et animales au respect d’un pacte conclu avec les puissances surnaturelles. » Cl. LEVI-STRAUSS Saudades do Brazil p. 16




Les points. Six points noirs figurent sous la queue du bison. Ces points strictement alignés forment deux séries horizontales de trois points et trois séries verticales de deux points. Deux points estompés, peu visibles, figurent sous la deuxième ligne verticale pour le premier et un peu à gauche entre la première et le deuxième ligne pour le second. Il existe également un point net sur l’épaule du bison.
La scène montre six points sous la queue du bison et six éléments figurés : rhinocéros, homme, bison, deux propulseurs, simple et orné, et une sagaie. Les figures s’inscrivent dans deux registres supérieur : rhinocéros, homme, bison et inférieur : propulseurs, sagaie. Les six points s’organisent également en deux registres : deux lignes horizontales de trois points, supérieure et inférieure. Cette concordance est trop précise pour n’être que le fruit du hasard. En outre l’alignement vertical rigoureux des points suggère un tableau à double entrée. Nous pourrions ainsi avoir deux lignes horizontales renvoyant au supérieur, au vivant au sacré et à l’inférieur, à l’inerte et au profane. Mais le propulseur orné n’est pas tout à fait profane. Les liaisons verticales entre les groupes de deux points pourraient connoter une liaison entre un être vivant et l’objet intermédiaire permettant de l’atteindre. Mais la liaison entre l’homme et le propulseur simple est inverse. Tout se passe comme si ces difficultés avaient été perçues et une solution plus satisfaisante ébauchée : les points extrêmes sont supprimés, par la pensée, puisque ceci est matériellement impossible et remplacés par deux points estompés sous la deuxième ligne verticale. Le premier strictement aligné représente la sagaie, le second le propulseur orné est décalé sur la droite pour marquer son caractère magique. La structure du schéma se trouve ainsi modifiée : à gauche le sacré représenté par le rhinocéros maître des animaux, à droite le monde profane du gibier, au centre, dans une position intermédiaire l’homme et ses artéfacts propulseur et sagaie. Le propulseur orné, à la fois arme et objet magique est logiquement décalé du côté du surnaturel. Le dernier point noir est judicieusement situé sur l’épaule gauche du bison, cette région si elle est inaccessible au rhinocéros constitue en effet une cible privilégiée pour un coup de sagaie.

Les points formeraient ainsi, non une transcription de la scène mais, sous forme d’un schéma structural à double entrée, une tentative d’analyse présentée en deux versions. Cette démarche s’appuie sur la description des fondements de la pensée des peuples sans écriture donnée par Cl. Lévi-Strauss : la réalité avec ses deux composantes indissociables, naturelle et surnaturelle, est abordée par le biais de similitudes ou d’oppositions binaires pour aboutir à une sorte de mise en ordre du monde.
Les six points peuvent également être vus comme un simple système de numération mais leur organisation spatiale, trois séries de deux points rigoureusement alignés sur les deux axes du plan suggère un autre niveau de lecture. Le contraste entre l’organisation orthogonale rigoureuse des points et l’alignement approximatif des registres pourrait connoter le contraste entre le monde chamanique et l’ébauche de système de pensée conceptuelle qui l’analyse. Surtout une structure attribue une signification à des singes arbitraires, les points, ceci constitue à la fois l’ébauche d’une pensée réflexive et en même temps l’ébauche d’un langage voire une paléo écriture.